Larmor, génération identitaire.

Sur Berder, tout a été dit, ou presque. Partisans et opposants au projet Giboire n’ont pas manqué de servir la soupe à des médias qui par l’odeur alléchée, se sont empressés de tendre un micro à tous les agités du bocage ravis de brandir leurs arguments, s’invectiver à loisir, bref, se sentir exister. Comme si les larmoriens se plaisaient à vire dans un décor de théâtre, celui qu’ils ont taillé sur mesure pour leur propre survie. Car au-delà du sort de cette île, c’est une certaine idée de Larmor qui se manifeste bruyamment. Celle de villageois qui se sentent menacés, non pas tant par la disparition de leurs commerces que par celle de leur identité. Fusions de communes, transfert de compétences vers des instances supra communales, l’aménagement du territoire aujourd’hui ne s’embarrasse plus de l’esprit de clocher. Les larmoriens le savent mais entendent résister, engoncés dans la certitude de leur supériorité et tétanisés par l’ombre de la commune voisine, jalousée, méprisée, redoutée.

Cette peur, réelle ou imaginaire, d’être ainsi spolié de ses racines et de son histoire s’est illustrée ces derniers mois dans l’extraordinaire agitation qui s’est emparée de la commune au sujet de Berder. Car au-delà de la création d’un hôtel dont finalement tout le monde se fout, il était surtout question de se retrouver dans l’entre-soi larmorien en s’emparant de revendications communes, aussi crasses soient elles, pourvu qu’elles rassemblent et fédèrent les villageois dans une quête frénétique de reconnaissance identitaire. Sinistre mécanisme de repli dont on connaît les ressorts : exclusion, discrimination, prônées haut et fort par quelques leaders auto désignés pas peu fiers de monter à la tribune pour éructer leur idéologie sectaire. Toute légitimité à prendre part au débat était dès lors contestée à quiconque ne pouvait revendiquer des origines larmoriennes. Le même ostracisme frappait indifféremment ceux qui pouvaient s’en prévaloir mais n’étaient pas en mesure de justifier d’une résidence sur la commune. Dans un élan de désinhibition collective, droit du sol et droit du sang étaient expressément convoqués au service d’une purge aussi violente que soudaine. Et comme les menaces ne sont jamais suffisamment nombreuses pour souder la meute, on agita tel un épouvantail celle des chinois et qataris, leur prêtant l’appétit vorace d’acquérir Berder. Funeste surenchère qui ancrait durablement le délire conspirationniste dans les esprits les plus faibles.

Comment a-t-on pu en arriver là ? Cette stratégie du repoussoir procède d’une sorte de haine narcissique. Dis-moi qui tu repousses, je te dirai qui tu es (et qui tu hais). Car Larmor ne s’est jamais construit autrement que dans la défiance et le ressentiment. L’acte fondateur qui consista à faire scission de la commune voisine nourrit depuis plus d’un siècle l’imaginaire romantique de l’irréductible gaulois. Mais cette identité largement fantasmée n'a finalement d'autres ennemis qu'elle-même. Faute de s’ouvrir au monde, elle se condamne, se fissure et se lézarde, aussi sûrement que la tour de Berder. Pas étonnant que le larmorien s’indigne et s’égosille devant l’état de cette horreur de l’architecture XIXème. Elle le renvoie à sa propre décrépitude.

Dans cette ambiance fin de race, l’instinct de survie commandait de s’en remettre corps et âmes à la figure tutélaire et salvatrice de l’homme providentiel. Mythe gaulois s’il en est, où l’heureux élu se voit confier le destin de la communauté pour la soustraire à l’inéluctable. Monsieur Giboire n’eut guère le choix. L’homme qui a toujours prospéré à l’abri des regards se voyait, bien malgré lui, propulsé de l’ombre à la lumière, adulé dans une hystérie quasi mystique. Le pauvre ! On peut sincèrement compatir, sans le dédouaner d’une certaine part de responsabilité. S’il s’était abstenu de baratiner ses fameuses retombées économiques pour la commune, il ne serait pas aujourd’hui l’otage d’une clique de croisés fanatisés qui se sont emparés de ses promesses creuses pour en faire leur totem. Peut-être à l’avenir y réfléchira-t-il à deux fois avant de servir à d’autres son chantage cynique (rien n’est moins sûr). Gageons que le personnage guettera désormais la moindre opportunité de s’extirper de ce merdier et que dans un avenir proche, les larmoriens, lâchés en rase campagne, ne manqueront pas de brûler celui qu’ils ont adoré, telle une victime expiatoire. Après tout, il n’était pas de Larmor !

Combien de sauveurs, combien d’adversaires tout aussi fantasmés, les villageois devront-ils s’inventer avant de rendre les armes et, ce faisant, leur dernier souffle ? Beaucoup n’y trouveront jamais la paix. Il en est quelques-uns pourtant, sages et espiègles, à qui l’on ne peut contester l’amour de leur commune sans qu’ils en aient fait l’essence de leur moi profond. Ceux-là se sont construits en explorant le monde au-delà de la digue de Pen en Toul. Ils ont admis, car il n’en allait pas de leur honneur, que Larmor est une anomalie, une aberration que le temps ne tardera pas à digérer. Leur nostalgie est joyeuse. Ils ont cette propension à regarder leur village avec des yeux de brocanteurs, de collectionneurs, d’archivistes, sans vouloir en faire le théâtre illusoire de leur jeunesse perdue. Ceux-là se préparent une fin heureuse et une sépulture à bonne distance de la fosse commune.

La Rédaction

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